PATRICK REBEAUD - réalisateur


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SALUT, ARCHIMEDE !

Publié le 3 janvier 2004.

Discrètement, Archimède -le magazine scientifique d’Arte- s’était installé dans un coin du petit écran depuis près d’une dizaine d’années. Tout aussi discrètement, il en a été effacé, coup de gomme dans la marge d’un paysage audiovisuel à l’efficacité revendiquée.

La passion silencieuse

Parmi les quelques centaines de milliers de spectateurs hebdomadaires accrocs d’Archimède, certains sortent maintenant de l’ombre et clament sur internet leur passion pour cette émission. Tout cela encore presque sans bruit, puisque le tumulte médiatique n’a jamais vraiment concerné les auteurs et les téléspectateurs d’un magazine résolument hors normes. Archimède était regardé par les gens qui ne regardent pas la télé d’habitude, et assumait ce décalage sans complexe. D’ailleurs, souvent, ce n’était pas au hasard d’un zapping qu’il était vu, mais quasiment sur rendez-vous par des personnes attentives qui l’enregistraient ou se le faisaient enregistrer. Elles visionnaient ensuite cette émission à tête reposée, puis stockaient studieusement les cassettes VHS de cet état du savoir. J’ignore si les médiacomptages de tous ordres prennent en considération ce genre de téléspectateurs super-vigilants dont l’esprit critique, il est vrai, leur fera toujours refuser le statut de simples consommateurs. En tout cas, pour un réalisateur, se trouver dans ce bain d’Archimède procurait un vrai bonheur. Pierre Oscar Lévy et Jonas Rosalès ont mis plusieurs semaines pour m’en convaincre en 1996. Avec une patience hors du commun, ils m’ont téléphoné d’innombrables fois pour que j’aille les trouver, et que je réalise un premier sujet pour Archimède. Ce fut un dix minutes d’archéologie. Au lendemain de la diffusion, Pierre Oscar m’a téléphoné: “Ton sujet a fait la meilleure audience depuis que l’émission existe.” Je suppose que l’article paru dans Télérama y était pour beaucoup. Par la suite, on ne m’a plus jamais parlé des spectateurs en terme de quantités. Nous étions probablement protégés par des anges gardiens qui amortissaient la pression médiamétrique pour le bien-être des réalisateurs.

Le Dogma de la télé

Pour moi, Archimède est à la télé ce que Dogma est au cinéma: l’austérité créatrice. Même si aucune règle ne m’a jamais été impérativement édictée, je pourrais quand même nommer ce qui en forgeait l’esthétique, et indirectement la philosophie (je parle de l’émission française, très différente de sa consœur allemande). Voici ces lois qui donnaient son unité au magazine. Nous devions:

-Filmer les actions et les objets en très gros plans.
-Filmer en plans longs.
-De préférence en plans fixes.
-Toujours montrer ce qui est dit.
-Jamais de musique non justifiée par la présence d’un instrument de musique ou d’un chanteur visible à l’image.
-Lorsque quelqu’un parle pour la première fois, il doit être à l’image.
-Quand une personne met un appareil en marche, on doit voir en très gros plan son doigt enfonçant le bouton.
-Les interviewés doivent s’adresser directement à la caméra.
...etc.

Il en ressortait une vision rigoureuse de la science. Trop ? En tous cas, cela aura permis de fixer l’état des connaissances de manière modeste et systématique au tournant du 21ème siècle. Paradoxalement, une fois que nous -réalisateurs- avions accepté de nous glisser dans le style “archimédien”, le reste n’était que liberté: le contenu, le ton, le choix des personnes présentées à l’écran, la mise en images de concepts.

Quand “Pour la science” rencontre “Fluide glacial”

L’époque au cours de laquelle j’ai travaillé avec ce magazine est l’une des plus heureuses de ma vie professionnelle. Thierry Garrel, Jean-Jacques Henry et Patrick Sobelman avaient créé l’espace favorable à la rencontre des idées. J’ai par exemple réalisé les “brèves”. J’en écrivais certaines, j’en adaptais d’autres d’après des textes de Philippe Boulanger, Hervé This, Bruno Léandri, Didier Nordon. Des personnalités tellement différentes issues de “Pour la science”, “Fluide glacial”, l’Université de Bordeaux... Archimède nous a réunis et nous a permis de créer ensemble, laissant libre cours à l’astuce, l’humour, l’imagination... Nous nous sommes amusés sérieusement. L’arrêt d’Archimède n’a pas changé ma vie de réalisateur occupée avec d’autres tournages. Cependant, la fin du magazine a quand même provoqué ce petit pincement au cœur dû au vide laissé sur mon téléviseur tous les mardis soirs. Je me console en me disant que tout cela n’aura pas été inutile: l’ensemble de ces émissions constituera peut-être pour les épistémologues de l’avenir une foisonnante base d’informations sur les connaissances d’aujourd’hui et le chemin de leurs découvertes.

Patrick Rebeaud
http://www.patrick-rebeaud.com